Son Pépère a rencontré Dieu (2)

Deuxième épisode : la parole de Dieu 

Résumé de l'épisode précédent :

Parti se griser, Son Pépère arrive en ville. Il partage une table au bar avec Dieu qui fait de lui son confident et son messager.

…........Dieu prit alors son verre, avala une gorgée, fit une grimace et parla en ces termes :

- Afin que vous ne soyez pas surpris de Mon apparence physique, sachez que le mode de locomotion que J'adopte ne gère que l'immatériel. Une fois arrivé à bon port, Mon Essence prend substance dans un corps terrestre ; si Je dois apparaître comme un être humain, Je vais en général prendre une dépouille de SDF à la morgue et Je la remets dans son tiroir dès Mon départ. Voici pourquoi J'ai pris l'apparence d'un pauvre hère mais aussi les manières et même le vocabulaire. Je souhaite néanmoins que son pépère n'ait aucune réticence à diffuser Ma parole.

Son Pépère se récria :

- Pensez-donc, mon Dieu, comme je me ferai une joie de respecter textuellement Vos Divins Propos !

- Ce n'est pas par hasard, reprit Dieu, que Je juge opportune cette précision, tant il est vrai que, Saint-Esprit vient de le rappeler dans Mon oreillette, votre style est d'ordinaire si maniéré qu'on vous imagine volontiers assis à votre pupitre avec un balai rectal(1).

- Peut-être pourriez-Vous, mon cher Tout-Puissant, objecta Son Pépère, surveiller un peu le choix des mots que Vous employez. Vous donneriez plus de poids à Votre parole et éviteriez de porter atteinte à l'image de Son Pépère, qui, je vous le rappelle, est le tenancier du blog dont vous disposez.

- N'ayez pas ces inquiétudes, le rassura Dieu, la Parole Divine est démilitarisée et les désagréments ou les satisfactions qu'elle engendre ne comptent pas. Mais l'heure tourne, laissez-Moi rependre Mon discours.

- Je Me dois préalablement de préciser certains points. Depuis des siècles, les prêtres de toutes religions M'ont taillé des costumes extravagants : et le Dieu vengeur ceci , et le Dieu Miséricordieux cela, Celui Qui n'aime pas les hérétiques, Qui a trente six bras, Qui châtie les homosexuels, commande le massacre des infidèles , vous voyez bien de quoi Je parle. Avec toutes ces sottises on en a oublié que Mon rôle consiste essentiellement à faire tourner tant bien que mal cette usine à gaz qui s'appelle l'Univers, et, croyez-moi, ça n'est pas une petite affaire. Pour l'essentiel, J'ai fait appel aux lois de la gravitation et ça fonctionnait plutôt bien. Mais un jour, Je me suis aperçu qu'elles manquaient de précision : je vous passe les détails des calculs qui M'ont mis devant la nécessité d'inclure un nouveau facteur dans les principes de l'astrophysique. Pour que vous compreniez, on va l'appeler le facteur émotionnel, même si, en réalité, c'est beaucoup plus compliqué.

Je vais essayer d'expliquer en quoi cela consiste : quand la NASA envoie une sonde sur Mars, il est facile de comprendre que la différence de masse entre la terre et la planète rouge s'en trouve modifiée. Si Je ne fais rien, au bout de quelques milliards d'années, le système solaire s'en trouve détraqué, avec des conséquences dramatiques pour la voie lactée. Mais dans ce cas, il est facile de rétablir l'équilibre avec une ou deux météorites bien conçues ; sans Me vanter, Je gère assez bien ces situations.

Mais il faut savoir que la marche de l'univers peut être entravée par d'autres phénomènes, et notamment les émotions ressenties dans la totalité des mondes. Un exemple simple : si j'augmente la température moyenne de un degré sur terre, les ours polaires attrapent des migraines carabinées. La douleur ressentie devient émettrice de particules que J'ai nommées « ouillouilles », dont la masse semble dérisoire, mais qui viendront perturber le cosmos au bout d'un certain temps. De la même manière, si on ajoute de la crème chantilly sur sa mousse au chocolat, on n'explose pas seulement son taux de cholestérol, mais aussi celui des « miammiams ».
Sachez que :              1 ouillouille = -1 miammiam

Si vous arrivez à comprendre cela, Mes explications s'en trouveront plus aisées.

Il est très important de neutraliser ouillouilles et miammiams en les répartissant également aux quatre coins de l'Univers(2). C'est pour veiller au bon équilibre de cette tâche que Je suis attablé aujourd'hui à la Nostérieure, devant le bar de la Chouette.

J'ai dû un jour, avec mes équipes, définir une échelle émotionnelle, graduée en degrés ouillouille et en degrés miammiam afin de mesurer avec précision l'intensité du ressenti des êtres vivants d'un milieu donné. Voici un exemple de l'échelle « thermiamouille » telle qu'on se plaît à l'appeler chez Nous dans les Cieux(3) :

On évalue à 0° ouillouille le décès d'un homme de soixante cinq ans, ou celui d'une femme de soixante dix ans.

Le décès d'un homme de cinquante ans vaut, quand à lui, 4° ouillouilles si le défunt vit seul. A cela on ajoute, notamment,  1,3° ouillouille par enfant à charge ; un système complexe que Je ne développe pas permet de moduler le poids émotionnel de l’événement selon l'age de l'épouse, le nombre de maîtresses et la popularité du défunt. Les circonstances entrent évidemment en ligne de compte : une disparition brutale et inattendue est mieux cotée qu'une longue agonie laquelle, en revanche, peut rapporter des points de douleur ante-mortem que l'on comptabilise à part.

Vous l'avez deviné, au dessus de soixante cinq ans pour les messieurs, le décès enlève des degrés ouillouilles (ou rapporte des degrés miammiams, c'est la même chose). Le décès d'un centenaire standard vaut 5,3° miammiams bruts, sans les péréquations suscitées.

Donc, si je veux ramener le thermiamouille à zéro dans un secteur donné, pour le décès de dix centenaires, je dois bousiller une mère de famille à cinquante trois degrés ouillouilles. En principe cela suffit à équilibrer; il peut arriver cependant que J'aie à corriger un effet collatéral : il est en effet fréquent  de voir des prêtres bien intentionnés, mais mal inspirés et un peu sots, arriver à convaincre le père de famille que, si Je lui fais subir l'épreuve du veuvage, Mon intention est de le rendre plus fort et qu'il doit M'en remercier. La satisfaction dudit père de famille est parfois si intense qu'elle peut me fusiller trois degrés ouillouilles! Je les rattrape la plupart du temps en collant un handicap mental léger au petit dernier de la famille ; vous voyez bien qu'il Me faut avoir l’œil à tout, et J'ai besoin de recadrer fréquemment Mon échelle miamouille pour l'adapter à l'évolution du monde.

- C'est ainsi que cette semaine, en vue d'un réétalonnage, j'ai abrégé les souffrances d'un retraité sportif de La Nostérieure, et je viens prendre la température miamouille à la sortie de la cérémonie d'inhumation. Je M'attends à zéro, on verra bien. Situé à proximité de la sortie de l'église, le bar de la Chouette est un poste d'observation idéal pour faire cette mesure.
Dans les temps jadis, J'avais, pour ces ajustements, passé contrat avec le type de Rome, qui gérait l'Occident grosso modo. C'est lui qui réglait une bonne partie de votre planète. Un autodafé par ci, une Saint-Barthélemy par là, un village indien massacré ailleurs et l'équilibre se faisait. Mais le temps a passé ; aujourd'hui, votre Jean-Benoît trente-six, comme vous l'appelez, et ses prédécesseurs sont devenus la cinquième roue du carrosse. Pour les Tutsis par exemple, ils ne M'ont été d'aucune utilité et J'ai du avoir recours à des mercenaires, c'est vous dire ! Mais vous connaissez sans doute ces personnages tout habillés de blanc; aux grandes occasions, ils portent une sorte de chapeau pointu, si bien qu'Ange Gabriel, les appellent Turlututu ! Quel marrant ce Gabriel ! il faut dire qu'à parcourir les univers pour visiter des Viergemaries avec son petit matériel, il a acquis un solide sens de l'humour. C'est lui qui appelait  le pape d'avant « Jean-Préso deux», mais Je ne Me souviens plus vraiment pourquoi.

- Je pressens une question : je parle des viergemaries, et vous êtes curieux de savoir ce qu'il est advenu de Jésus Christ. Savez-vous que pendant des millénaires, on l'a envoyé à droite et à gauche racheter les péchés des mondes. On a fait des tabacs avec ça. Si J'avais été moins désintéressé, J'aurais pu faire un max de blé(4) rien qu'avec votre terre : chez vous en effet, vous exécutez les condamnés en les clouant sur des bouts de bois. C'est génial parce qu'on retrouve des crucifix partout, sur les murs des maisons, au coin des routes; inimaginable! Si J'avais mis des copyrights sur les produits dérivés, J'en aurais des lingots enterrés dans le jardin des Cieux ! J'avais quand même pensé sous-traiter l'exploitation des droits avec un professionnel;  Disney était d'accord, J'avais négocié sa marge à cinq pour cent. Mais Saint-Esprit a objecté que Nous n'avions pas l'emploi de toute cette fortune ; J'ai laissé tomber. Revenons-en à Christ : Son rôle n'était pas facile du tout ; Il passait Son temps de croix en échafaud pour fonder des religions qui ne servaient plus guère au bout de quelques siècles. La dernière fois, Il est tombé sur une planète paumée dans une galaxie lointaine. Le supplice de là-bas consistait à enlever les écailles une par une ! il en avait bavé grave ! il était revenu complètement démotivé. Pour finir, à la suite d'un conflit que Saint-Esprit n'avait pas vu venir, un abruti a fait sauter tout le système solaire du secteur, si bien que le sacrifice du pauvre Garçon n'a servi à rien. Du coup, on a laissé tomber ce principe un peu vaseux du rachat de péchés. Maintenant Je Me suis réorganisé en un Dieu à deux Personnes et ça marche tout aussi bien ! Pour la petite histoire, il vous plaira d'apprendre qu'il nous a fallu contrebalancer le crash dont je viens de parler ; voilà pourquoi j'ai du faire l'année dernière des catastrophes nucléaires dans cinq mille spots sur cinquante trois galaxies. C'est de là que vient l'accident de Fukushima, où j'ai du frapper un peu fort étant donné l'urgence. Seulement voilà,  si je veux éviter que votre terre ne s'ovalise à terme, je dois maintenant compenser en provoquant des répliques sur toute sa surface. Je n'ai pas encore terminé le travail, mais je pense que vous, en Achetue, vous allez être particulièrement servis avec tous les miammiams indus dont vous avez bénéficié.

 Il n'est qu'à goûter l’infâme breuvage que m'a servi le cabaretier ! un Crevratus de chez Crevrat ! quand je pense que les vins de l'Achetue, et notamment le Monroreille, ont obtenu l'AOC, je me demande comment je vais rattraper cette bévue. Comme vous avez déjà eu Xynthia, il ne me reste plus qu'à détruire Rocaillon avec un méga-séisme. Oui je crois que je vais faire comme ça.

A ce moment, Son Pépère sentit qu'il devait rentrer. Il ne jugea pas opportun de faire remarquer que les miammiams de l'AOC étaient largement contrebalancés  par les ouillouilles consécutif à la consommation.  Dieu Se tenait le ventre douloureusement, Il n'aurait même pas entendu.

-Dans quel état vais-je rendre ce corps à la morgue ? maugréa-t-Il. L'estomac sera devenu une vraie passoire ! et ce satané curé qui n'en finit pas !

Mais le convoi funèbre, suivi de toute l'assemblée, avait quitté l'église Ste Radegonde depuis de longues minutes ; il avait déjà gagné le cimetière. Dieu n'avait pas été informé qu'à La Nostérieure la sortie principale de l'église ne donne pas sur le parvis, mais sur le côté et que, de la terrasse où Il était installé, Il ne pouvait voir qu'un portail condamné.

Son Pépère reprit son vélo discrètement, murmura un salut et fila sans demander son reste(5). Il n'est jamais retourné au bar de la Chouette.

1 Balai rectal : Voici la première indélicatesse du blog de Son Pépère. Mais, infligée par un tel Auteur, elle devient Divine Vulgarité.
2 Quatre coins : chacun l'aura compris, Dieu a ici recours à une expression familière. On sait bien que, si l'Univers a des coins, et cela n'est pas prouvé, le chiffre quatre est insuffisant pour les dénombrer.
3 Les cieux : c'est ainsi qu'on nomme le lieu de résidence de Dieu et de Son personnel.
4 Max de blé : décidemént, Dieu s'est incarné dans le corps d'une personne bien peu distinguée.
5 Sans demander son reste : c'est Dieu qui, finalement, règla les consommations au moyen de  quelques pièces jaunes trouvées au fond de ses poches.