Quand le sage montre la lune, Son Pépère regarde le doigt

Quand le sage montre la lune, Son Pépère regarde le doigt
Sur les pages de ce site, Son Pépère vous présentera ses réflexions sur le monde et ses dépendances. Il vous fera partager ses expériences de la vie courante, mais aussi ses recettes de cuisine et ses humeurs. D'avance, Son Pépère présente au lecteur éventuel ses excuses pour les idées qu'il aura affichées comme originales, mais qui ne seront peut-être que des banalités.

samedi 9 février 2013

La métaphysique de Quarty Patisson

Après avoir côtoyé le divin, Son Pépère affronte le graveleux

 Un animateur de télévision bien connu avait naguère l'habitude de poser aux invités de ses émissions une question précise à connotation existentielle. Il savait se montrer salutairement provoquant en assimilant la mâle vulgarité à l'audace.
C'est ainsi que, quand il avait en face de lui un homme politique guindé, ou une jeune dame timide, Quarty Patisson(1) lui demandait les yeux dans les yeux :

"Est-ce que sucer, c'est tromper ?"(2)

Pour aider le téléspectateur à bien saisir l'intensité du moment, il exprimait alors une mine gourmande où l'on devinait à la fois admiration de sa propre témérité et satisfaction pour son humour distingué. Ses comparses dans l'émission accompagnaient l'acte de bravoure qui par un sourire servile, qui par un regard énigmatique. La personne célèbre ainsi interrogée en était, quant à elle, réduite à bafouiller une ou deux banalités en rougissant.

Son Pépère n'a pas la prétention de résoudre l'énigme de façon définitive, mais, à l'aide de trois exemples opportunément choisis, il montrera que l'on peut sans conteste y répondre positivement et tout aussi bien négativement. Il montrera enfin que l'on peut aussi tromper de façon flagrante tout en s'abstenant.

1) Le vilain père Martin :
Aujourd'hui, un pensionnaire de la résidence Dupont-Desbois est malade; sa toux rauque a inquiété la directrice; elle a mandé le médecin. Après l’auscultation d'usage et la prise de tension, le Docteur Pendule prescrit un remède. L'infirmière se rend aussitôt à la pharmacie Guelhace et ramène le précieux médicament. Elle présente un verre d'eau et deux beaux comprimés jaunes(3) au malade.
- "Il est indispensable," recommande-t-elle "que vous les avaliez tout rond pour qu'ils se montrent efficaces."
Comme elle croit discerner un regard sournois chez son interlocuteur, elle ajoute :
- "Promettez-moi, père Martin, que vous les prendrez comme je vous le commande"
- "I l' jure", confirme le vieillard en crachant sur le sol.
Mais à peine les dragées sont-elles arrivées sur sa langue que le fourbe patient se met à les garder en bouche. Il goûte d'abord l'enrobage sucré, bien vite il savoure la délicate amertume de l'excipient. Riant de sa polissonnerie et bavant de satisfaction, il termine de quelques coups de dents ces délicieux bonbons et adresse un geste inconvenant en direction de la soignante.
Nul ne contestera que, par son comportement, le vieux garnement a trompé la confiance de son entourage. Il ne mérite pas de guérir et déjà, le clocher de l'église Sainte Radégonde se prépare à sonner le glas pour ses funérailles. Qui s'en plaindra?

2) Une compagne attentionnée :
Changeons de décor. Ce matin, le printemps montre le bout de son nez. Les forsythias en fleurs font oublier les frimas. Joliment vêtue, votre épouse se prépare à sortir de la maison.
- "Ne m'attends pas pour déjeuner, Chéri, " vous dit-elle, "je risque d'avoir un peu de retard car je vais prodiguer une gâterie à ce brave Nicoche(4) ; Son amie Blisabeth(4) m'a en effet révélé qu'il était agréablement parfumé à l'anis."
- "D'accord à bientôt, prends ton temps! " lui répondez-vous, heureux de la voir si pleine d'entrain.
Vous sortez derechef votre téléphone pour prévenir Nicoche de sa bonne fortune et partez vaquer à vos affaires.
Remarquez qu'elle vous a gentiment prévenu de ses activités quand plus d'une épouse n'annonce même pas qu'elle va chez sa coiffeuse. Aucune tromperie n'est évidemment à déplorer.

3) La traîtresse :
Imaginons cependant le pire : passé le coin de la rue, voilà bien que la femme de votre vie, celle en qui vous avez mis toute votre confiance referme d'un bouton son corsage et tire sur sa jupe. Elle se précipite à l'église voisine pour rejoindre sa famille et assister à l'office célébré pour sa défunte maman que vous détestiez tant ! Émue, elle s'assoit à côté de sa sœur et salue son beau-frère, agent du fisc. Le prêtre qui l'a connue enfant vient l'embrasser et lui demande de vos nouvelles!
Comment qualifier cette conduite?
La tromperie dans ce cas est plurielle : d'un côté vous étiez loin d'imaginer pareille duplicité chez la mère de vos enfants, et d'un autre ce pauvre Nicoche se trouve bien désappointé, lui qui en l'attendant, avait commencé à renforcer son aromatisation par l'intérieur.
Nul doute qu'un avocat bienveillant saura vous aider à remettre de l'ordre dans votre vie.





Mais à quoi bon multiplier les situations? Son Pépère ne doute pas que le lecteur s'est maintenant constitué une opinion bien étayée sur un sujet si difficile.

(1) Patisson : chacun sait que les patronymes ont été choisis la plupart du temps en fonction des aptitudes de nos ancêtres. On voit que, pour celui-ci, la finesse et l'élégance de la courge ont été mises en exergue.
(2) "Est-ce que sucer, c'est tromper ?" : Son Pépère n'a pas pu atténuer la crudité du propos sans risquer d’embrouiller son lecteur.
(3) comprimés jaunes : il était important, pour la clarté du message, qu'ils ne fussent pas bleus.
(4) Nicoche, Blisabeth : comme il s'agit ici d'une parabole, Son Pépère a choisi des prénoms improbables afin d'éviter que des personnages réels ne se croient dévoilés.
Ardisson